Avant la marche, les responsables israéliens et les FOI ont envoyé des messages menaçants sous forme de tracts et sur les réseaux sociaux,[2] et des pressions par téléphones ont été faites aux chauffeurs de bus pour qu’ils ne transportent aucun manifestant. Le 30 mars, une utilisation calculée, disproportionnée, et inutile de la force par les FOI a conduit à la mort de 15 palestiniens et 1 416 blessés, dont 758 par balles réelles.[3] Les manifestants ont été touchés alors qu’ils marchaient près de la frontière, à une distance de 300 à 700 mètres, des zones de Rafah, Khan Younis, le gouvernorat central, Al-Shuja’iyya et du camp de réfugiés de Jabaliya, où ils s’étaient installés avec des tentes portant le nom de leur villages d’origine, d’où ils ont été déplacés en 1948. Il convient de souligner que la population de la bande de Gaza comprend environ 65.3% de réfugiés palestiniens,[4] ce qui représente au moins 1,3 million de personnes, réparties dans huit camps de réfugiés.[5]
Selon les observations du terrain et la documentation d’Al-Haq, des centaines de membres des FOI lourdement armés, comprenant des dizaines de tireurs d’élite et des véhicules militaires, se sont repartis derrière la zone frontalière. Alors que le nombre de la population manifestante augmentait, la riposte des FOI était plus meurtrière : tir à balles réelles, balles en caoutchouc, gaz lacrymogène tiré par les drones et véhicules militaires. Dans le gouvernorat du nord, 5 jeunes hommes palestiniens ont été tués entre 12h30 et 18h15 et au moins 244 autres ont été blessés, dont 54 enfants et 7 femmes. Sur les 244 blessés, 214 ont été touchés par des balles réelles. A 12h30, Muhammad Kamal Al-Najjar, 25 ans, a été tué d’une balle dans le ventre par les FOI tandis que Bader Fayed Al-Sabbagh, 21 ans, lui a été abattu d’une balle dans la tête vers 16h30. Abd Al-Fattah Bahgat Abd Al-Nabi, 19 ans, a été tué d’une balle dans la tête vers 17h00. Dans une vidéo diffusée en ligne, Abd Al-Fattah semble fuir, munis d’un pneu, dos à la barrière frontalière, au moment où il a été abattu, alors qu’il ne représentait aucune menace pour les FOI. Sari Waleed Abu Odeh, 27 ans, et Hamdan Ismail Abu ‘Amsha, 23 ans, ont été tués par des obus d’artillerie lancés par les FOI, à 300 mètres de la frontière au nord de la bande de Gaza, alors qu’ils tentaient d’aider un jeune blessé.
Dans l’est de la ville de Gaza, les FOI ont tué 4 manifestants palestiniens qui se trouvaient à environ 100 mètres de la barrière frontalière et ont blessé au moins 336 palestiniens, comprenant 70 enfants, 11 femmes, et parmi eux 203 ont été touchés par balles réelles. Ahmad Ibrahim Odeh, 19 ans, a été tué d’une balle dans la tête et Mahmoud Sa’di Rahmi, 33 ans, tué d’une balle dans la poitrine. Muhammad Nai’m Abu Amro, 26 ans, a été tué d’une balle dans le ventre et Jihad Ahmad Farina, 34 ans, a été tué après avoir reçu une balle dans le visage et dans le cou. Auparavant à Khan Younis, vers 4h30 du matin, avant le début des manifestations, les FOI avaient tiré deux obus d’artillerie sur deux agriculteurs palestiniens qui récoltaient depuis deux heures, du persil dans un champ agricole à environ deux kilomètres de la frontière à l’est de Al-Qarara, tuant ainsi Omar Waheed Samour, 26 ans, et blessant l’autre fermier. Plus tard dans la journée, pendant les manifestations, les FOI ont abattu Jihad Zuheir Abu Jamous, 29 ans, d’une balle dans la tête. Au total, le nombre de palestiniens blessés à Khan Younis était de 207, dont 31 enfants et 11 femmes.
A l’est du camp de réfugiés Al-Breij, Abd-Qader Mardi Al-Hawajri, 42 ans, et Naji Abdallah Abu Hajir, 25 ans, ont été tués par les FOI après avoir reçu une balle dans le ventre. Au moins 166, dont 30 enfants et 2 femmes, ont été blessés par balles. Simultanément, à l’est de Rafah, les FOI ont tué Amin Mahmoud Mu’ammar, 25 ans, et Ibrahim Salah Abu Sha’ar, 20 ans, d’une balle dans la tête. Au total, 93 palestiniens ont été blessés par des munitions réelles à l’est de Rafah, dont 33 enfants et 4 femmes. Musab Zuhair Al-Saloul, 23 ans, et Muhammad Muhareb al-Rabaya’, 22 ans, ont été tué après avoir reçu un obus des FOI alors qu’ils se trouvaient loin des manifestations, dans le village de Juhr Al-Derek, au sud de Gaza. Les deux corps de ces deux membres de la brigade Al-Qassam ont été enlevés par les FOI, privant les familles de faire le deuil.
Le 2 avril 2018, vers 10 heures, les ressources médicales de l'hôpital européen de Gaza à Khan Younes, ont annoncé la mort de Faris Mahmoud Al-Raqab, 26 ans, à la suite de balles tirées par les FOI dans son ventre le 30 mars. Ces derniers mois, la jeunesse palestinienne a protesté à plusieurs reprises dans la bande de Gaza, notamment à la suite de la décision de Trump sur Jérusalem, et les FOI ont continué à faire un usage excessif et disproportionné de la force et de la force meurtrière contre les manifestants civils palestiniens, y compris les enfants, et ont utilisé une politique évidente de ‘tirer pour tuer’.[6] Entre le 15 décembre 2017 et le 31 mars 2018, les FOI ont tué 21 manifestants palestiniens dans la bande de Gaza, tué 3 pêcheurs et fermiers, et 4 autres avec des obus d’artillerie et par frappes aériennes.[7] La bande de Gaza a été soumise à la politique israélienne de fermeture des points de passages depuis maintenant plus de 11 ans, transformant le territoire en prison à ciel ouvert, dans des conditions humanitaires désastreuses, englobant la pénurie des besoins fondamentaux, tels que l’eau, la nourriture, les équipements médicaux et tous les aspects de la vie en général.
L’utilisation de la force meurtrière par les FOI contre les manifestants palestiniens, y compris dans la bande de Gaza le 30 mars 2018, est une violation du droit international et des normes relatives aux droits de l’homme. Les FOI assouplissent délibérément et systématiquement les règlements d’engagement militaire et ouvrent le feu, y compris des tirs réels, sur les manifestants palestiniens, ce qui les expose à un risque imminent de blessures physiques. En effet, les porte-paroles des FOI ont explicitement réitéré leur disposition à contrer coûte que coûte les manifestations de mars dans la bande de Gaza.[8] Ceci est en contradiction avec les obligations d’Israël, en tant que puissance occupante, de respecter le droit à la vie de la population occupée, de s’abstenir de recourir à la force létale et d’être guidé par les principes de proportionnalité et de nécessité en recourant à la force. Les principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois dictent de ne pas recourir à une force excessive et meurtrière qui ne devrait être utilisée ‘que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines.’[9]
En effet, il n’y a aucune nécessité ou considération de proportionnalité découlant du tir sur des jeunes palestiniens et sur des familles manifestant pacifiquement, et réussissant parfois à échapper aux tirs des FOI, une pratique courante illustrée dans le cas d’Abd Al-Fattah Abd Al-Nabi vu plus haut. Les tirs des FOI sur les civils palestiniens, visent le plus souvent la partie supérieure du corps, ce qui prouve l’intention de tirer pour tuer. Vendredi, des jeunes palestiniens ont été touchés pendant les manifestations, à la tête, au ventre, au cou ou au visage, et cela sans pour autant représenter une menace imminente pour la vie des soldats lourdement armés et postés derrière la barrière frontalière. En outre, dans un Tweet publié par le compte officiel des FOI, supprimé vraisemblablement peu de temps après, « rien n’a été fait de manière incontrôlée ; tout était précis et mesuré, et nous savons où chaque balle a atterri », prouvant ainsi la connaissance et l’intention des violations commises. Les exécutions intentionnelles et injustifiées de personnes protégées lors d’opérations de maintien de l’ordre peuvent constituer un homicide volontaire, une violation grave de l’article 147 de la quatrième Convention de Genève et un crime de guerre selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).
Les autorités d’occupation israéliennes et leurs forces continuent d’ignorer les droits humains fondamentaux de la population palestinienne, notamment le droit à la vie, par l’usage excessif de la force et les peines collectives. Les attaques contre les manifestants palestiniens le 30 mars 2018 montrent une fois encore la répression incessante par Israël du droit des palestiniens, de manifester pacifiquement, mais surtout du droit au retour, qu’Israël continue de nier. Le droit au retour des palestiniens est consacré par le droit international et également reconnu par la résolution 194 de 1948 de l’Assemblée générale des Nations Unies et la résolution 237 de 1967 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui exige qu’Israël « assure la sûreté, le bien-être et la sécurité des habitants des zones où des opérations militaires ont eu lieu et de faciliter le retour des habitants qui se sont enfuis de ces zones depuis le déclenchement des hostilités ».[10]
Al-Haq condamne la systématique et continuelle prise pour cible des palestiniens à travers le Territoire Palestinien Occupé (TPO), et surtout dans la bande de Gaza. Al-Haq met en garde sur la détérioration de la situation à Gaza et appelle la communauté internationale à agir immédiatement pour combattre l’impunité d’Israël face aux violations des droits humains, aux infractions graves du droit international humanitaire et aux crimes commis contre la population palestinienne dans le TPO. Par conséquent, Al-Haq appelle à :
- Des mesures immédiates et concrètes, selon les obligations des Etats Tiers en vertu du droit international, pour assurer la protection de la population palestinienne dans le TPO, y compris en réalisant leur droit à la vie et leur droit à l’autodétermination ;
- Que les Hautes Parties contractantes à la quatrième Convention de Genève conviennent d’une réunion d’urgence au sujet des infractions graves d’Israël de la convention et, par conséquent, sur la protection de la population civile palestinienne ;
- La création par le Secrétaire général des Nations Unies d’une commission d’enquête indépendante sur les meurtres commis le 30 mars 2018 dans la bande de Gaza, comme indiqué dans sa déclaration du 30 mars 2018, [[11]] et dans le cadre des attaques continues d’Israël contre les civils palestiniens ainsi que la clôture totale de la bande de Gaza ;
- Mettre fin à la clôture imposée par Israël de la bande de Gaza, y compris en levant le blocus maritime, garantir le droit à la liberté de mouvement de la population occupée et assurer la contigüité territoriale du TPO ;
- Protéger, réaliser et faciliter le droit au retour des réfugiés palestiniens, notamment en protégeant et en assurant le fonctionnement des installations et des services de l’UNRWA ;
- Que la CPI ouvre une enquête sur la situation en Palestine et examine toutes les affaires dans lesquelles des crimes internationaux auraient été commis dans le TPO.
[1] Voir : Michael Bachner, Chef des FDI : "100 Tireurs d’élite Autorisés à Tirer à Balles Réelles Pendant la Marche de Gaza" ("Times of Israel", 28 mars 2018) disponible sur : https://www.timesofisrael.com/idf-chief-100-snipers-authorized-to-use-live-fire-during-gaza-march/ ; Judah Ari Gross, « Avec des Troupes Supplémentaires, des Tireurs d’élite, des Drones, Israël se Renforce pour la Manifestation de la Journée de la Terre à la Frontière » (Times of Israel, 26 mars 2018) disponible sur : https://www.timesofisrael.com/with-extra-troops-snipers-drones-israel-braces-for-land-day-border-protest/.
[2] Voir par exemple : message du compte Twitter du Ministre de la Défense Twitter le 30 mars 2018 déclarant “tous ceux qui s’approchent du Mur mettront leur vie en danger”, disponible sur : https://twitter.com/AvigdorLiberman/status/979617499640729601.
[3] Le nombre des Palestiniens blessés pendant les manifestations du 30 mars 2018 avancés dans cette déclaration sont conformes à l’observation sur le terrain et à la documentation de Al-Haq à compter du 30 mars 2018 à 21 h.
[4] PCBS, « A l’Occasion de la Journée Internationale des Réfugiés, le 20 juin 2017 », disponible sur : http://www.pcbs.gov.ps/post.aspx?lang=en&ItemID=1957.
[5] Al-Haq, « L’Histoire Jamais Racontée de Gaza : Du Déplacement à la Mort », 17 septembre 2015, disponible sur : http://www.alhaq.org/advocacy/topics/gaza/959-gazas-untold-story-from-displacement-to-death.
[6] Al-Haq, « Israël Cible et Tue des Mineurs Non-Armés dans la Bande de Gaza en Utilisant des Armes de Guerre Lourdes », 3 mars 2018, disponible sur : http://www.alhaq.org/documentation/weekly-focuses/1193-israel-targets-and-kills-unarmed-palestinian-juveniles-in-the-gaza-strip-using-heavy-weapons-of-war.
[7] Al-Haq, « Intensification dans la Bande de Gaza : Israël Attaque les Manifestants Civils et Lance des Frappes aériennes », 15 décembre 2017, disponible sur : http://www.alhaq.org/documentation/weekly-focuses/1159-escalation-in-the-gaza-strip-israel-attacks-civilian-protesters-and-launches-airstrikes.
[8] Voir : le Twitter Officiel des Forces de Défense d’Israël, disponible sur : https://twitter.com/IDFSpokesperson?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor ; The Jerusalem Post, « Les FDI Publient un Nouveau Communiqué sur les Heurts à la Frontière avec Gaza », 30 mars 2018, disponible sur : http://www.jpost.com/Breaking-News/IDF-issues-further-statement-on-Gaza-border-clashes-547526.
[9] Principes Fondamentaux sur l’Usage de la Force et des Armes à feu par les Agents d’Application de la Loi, adoptés en 1990, Principe 9.
[10] Conseil de Sécurité des Nations Unies, Résolution 237 (1967) du 14 juin 1967.
[11] Secrétaire Général des Nations Unies, Déclaration Imputable au Porte-Parole du Secrétaire Général sur la Situation à Gaza, 30 mars 2018, disponible sur : https://www.un.org/sg/en/content/sg/statement/2018-03-30/statement-attributable-spokesman-secretary-general-situation-gaza.